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VIII

Il était deux heures, quand nous arrivâmes, muets, fatigués, à la Fontaine-au-Grand-Pierre. L’orage avait cédé, s’était éloigné vers le sud. Une brise fraîche tempérait maintenant les ardeurs électriques du ciel où les nuages moins noirs, moins épais, passaient, élargissant de plus vastes interstices d’azur. Tout était désert, le coteau, la tourbière, l’oseraie.

Je dis à Marie :

— Eh bien, reposons-nous, maintenant ! Est-ce que tu as toujours peur ?

— Je n’ai pas peur, dit Marie. C’est autre chose.

— Quoi donc ?

— Je ne sais pas.

Elle examina le coteau pelé, où les bruyères ne parvenaient pas à fleurir ; puis elle suivit, dans l’air, le vol d’un corbeau.

Je dis encore à Marie :

— Est-ce que tu es déjà venue à la Fontaine-au-Grand-Pierre ?

Marie réfléchit une seconde :

— Oui, dit-elle. Du moins je suppose. Il y a très longtemps.

— Seule ?