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Et Marie, répond tremblante :

— Je ne sais pas… je ne sais pas… Non, en vérité, je ne sais pas.

Puis, elle pleure, puis elle suffoque. Et, soudain, m’entourant de ses bras, m’étouffant dans ses bras, les yeux ivres, la bouche gonflée de je ne sais quelle mystérieuse force d’amour, elle répète :

— Je ne sais pas… Je ne sais pas !…

Elle ne sait pas, en effet. Elle ne sait pas pourquoi elle me haïssait jadis, pourquoi elle m’aime aujourd’hui. Elle ne sait rien.

Une fois, je lui dis :

— Tu me regardes toujours, comme si tu avais peur de moi. Est-ce que tu as peur de moi ?

— Je ne sais pas !

— Écoute, Marie. C’est demain dimanche. Il faut que tu fasses une belle promenade, veux-tu ?

— Je veux bien. Je veux tout ce que vous voulez !

— Écoute, Marie. Nous irons, tous les deux, à la Fontaine-au-Grand-Pierre.

Marie fut prise d’un grand frisson. Ses yeux chavirèrent dans leurs orbites, comme une petite barque sur la mer, sous un vent de tempête. Ses dents s’entre-choquèrent. Elle joignit ses mains dans un geste de prière :

— Non… non… cria-t-elle. Oh ! je vous en prie, non… pas là… jamais là !