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physiques que je lui inflige et qu’elle accepte, et qu’elle subit avec des effusions de tendresse, avec des cris éperdus de reconnaissance.

Nous nous voyons tous les jours. Chaque soir, quand tout dort dans le village, quand tout dort dans la maison, elle vient chez moi, dans ma chambre, et elle ne s’en retourne que quand le jour paraît au loin, par-dessus le jardin, derrière la ligne des coteaux. Nous ne parlons jamais du petit bossu. Mais il est toujours entre nous deux. Il est dans les baisers, dans les étreintes, dans les râles de Marie. Je vois son sourire obscène sur ses lèvres et dans ses yeux. Je le vois dans toutes les parties de son corps. Il plane au-dessus de nous, parmi les rideaux du lit ; il rampe au-dessous de nous, sous le lit. Et il me semble que sa bosse, quelquefois, le soulève, lui imprime de petites secousses, le fait craquer. Je le vois dans toutes les ombres que la lampe projette sur le mur, au plafond, au parquet. Ces vêtements, sur ce fauteuil, c’est lui. Ce vase trapu sur la cheminée, lui encore. Ombre, lumière, objet, reflet, il est partout.

Souvent, j’ai demandé à Marie, dans l’espoir ou dans la crainte — je ne sais — qu’elle allait, me parler de lui :

— Pourquoi m’as-tu aimé, comme ça, tout d’un coup, Marie ?