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son, pour le plaisir, il m’arrive de meurtrir sa chair admirable. On dirait qu’elle vit, dominée par une suggestion unique qui la force à s’humilier devant moi. Vraiment, elle éprouve à se dégrader, à n’être plus qu’une petite chose vile, une joie immense et comme un spasme de bonheur physique. Sa plus grande jouissance serait que, couchée à mes pieds, sous mes pieds, je la rudoie, je la piétine, sans merci.

Et c’est dans le sang du petit bossu que s’est opérée, en une seconde, cette miraculeuse transformation ! Dès l’instant où elle a senti que c’était moi qui avais tué le petit bossu, elle s’est faite mon esclave. Toute sa fierté est tombée devant l’assassin que je suis ! Elle détestait l’amoureux. Mais l’amoureux s’étant changé en meurtrier, elle l’a adoré ! De quelles effrayantes passivités sont donc faits la chair et l’esprit de femme ? Par quel mystérieux chemin le sang va-t-il réveiller en elle les grands désirs sauvages de la brute ?

J’ai lu autrefois, dans je sais plus quel livre, que l’amour trouvait son aliment dans la mort. Cela me paraissait une chose inconcevable et folle. Je ne voulais pas y croire. J’ai vu aussi un jour ce dessin. Une femme toute nue, enchaînée sur un perchoir, comme un perroquet. Chaque matin, on lui apportait des cœurs sanglants de jeunes hommes. Et, chaque matin, elle était plus amoureuse et plus belle. Je criais que c’était une