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Il était tard quand nous sortîmes, Marie et moi, de la maison du cordonnier. La rue était déserte. Nulle lumière aux fenêtres. Le village dormait profondément.

— Bonsoir, Marie, dis-je.

— Bonsoir, monsieur Georges, dit Marie.

Elle demeurait là, sans bouger, gênée, la tête penchée sur le sol que la lune éclairait, sur le sol où nos deux ombres, raccourcies, se confondaient. Et, tout à coup, la voix sanglotante :

— C’est vous qui l’avez tué ! C’est vous qui l’avez tué ! cria-t-elle.

Je lui pris les mains. Ses mains tremblèrent dans les miennes, mais elle ne fit aucun mouvement pour les retirer. Elle répéta :

— C’est vous qui l’avez tué ! C’est vous qui l’avez tué !

— Pourquoi dis-tu cela, Marie ? C’est de la folie.

J’avais toujours ses mains dans les miennes. Je les caressais doucement.

— Pourquoi l’aurais-je tué ? Comment l’aurais-je tué ? Je te défends de dire des choses pareilles…

— Si… si… si… vous l’avez tué.

Et mes mains remontaient, sur son bras, vers ses épaules, sur sa nuque, qui ployait sous leur douce pression.

— Ah ! mon Dieu ! Vous l’avez tué !

— Tais-toi donc ! Tu ne sais pas ce que tu dis !