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et ma main sur sa bouche… Il ne résistait pas, ne se débattait pas… Son œil conservait le même sourire ironique.

— Dis-moi que ça n’est pas vrai ! répétai-je, au comble de la fureur.

Sous ma main, sa bouche ne fit pas un mouvement.

Alors je l’empoignai, je le soulevai de terre et, m’approchant du trou, je le lançai comme une pierre dans l’abîme. Les mâchoires de ronces se refermèrent sur lui. Pas un bruit, pas un choc. Rien. J’écartai les ronces, me penchai au bord du trou, écoutai. Pas un bruit, pas un choc, rien… rien, sinon qu’une vibration légère, la plainte d’une corde qui se déroule au fond d’un puits…

Et, comme je demeurais penché sur le trou, tout à coup, j’entendis le chant, l’affreux chant de l’oseraie :

Connais-tu… le pays ?

Mais c’était moi qui, machinalement, l’avais chanté, ce chant, en imitant la voix du petit bossu. Et l’abîme le répétait, en écho, dans ses profondeurs inconnues.