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contenir. Je voulais jouir, avec une sorte de frénésie douloureuse, de mon humiliation. Non, vraiment, était-ce possible que ce fût cet être de cauchemar, cette créature plus difforme qu’une idole papoue, qui m’eût volé l’amour de Marie ? Était-ce concevable que ses lèvres se fussent posées sur celles de Marie ? Et que Marie eût respiré l’odeur de cette haleine dans un baiser ? Marie mentait quand elle me disait, avec ses yeux de haine provocatrice, qu’elle aimait cette rognure monstrueuse d’humanité ? Allons donc !… Elle mentait, parbleu !… Elle avait imaginé ce mensonge pour me faire souffrir davantage, et, connaissant peut-être tout l’inconnu, tout l’atroce qui rampe au fond des ténèbres du désir, pour exaspérer, jusqu’à la folie, jusqu’au crime, mon désir d’elle, de ses lèvres amoureuses, de ses yeux pâmés, de son corps, souillé par les lèvres, les yeux, le corps du petit bossu. Non… non… ce n’était pas vrai. Elle mentait. Ils mentaient tous. La nature ne pouvait commettre un tel forfait envers son œuvre de vie renouvelée, d’amour éternel.

Le petit bossu était immobile. Et d’être immobile ainsi, et, pour ainsi dire, incrusté au sol, il ressemblait maintenant à un vieux tronc d’arbre coupé, noirci par la pluie, mangé par la mousse.

— Viens ici !… criai-je tout à coup.

Le petit bossu détourna la tête et m’aperçut.