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Je ne m’étais pas trompé. Et qui donc, sinon lui, aurait pu chanter, dans ce paysage de mort ? Il se présentait de profil, si l’on peut dire de son corps qu’il eût un profil, une face, n’importe quoi ! À peine si sa tête, que coiffait une casquette plate, dépassait d’un centimètre le surhaussement bombé des épaules. Ses épaules avaient l’air d’un épais collet relevé sur sa nuque. Il n’avait, réellement, rien d’humain. Je le regardais, consterné ; son corps était pareil à un bloc de bois dans lequel un bûcheron eût donné, au hasard, quelques stupides coups de cognée. De son visage, je ne voyais rien qu’une ligne bossuée. Sous son bras, semblable à un dégrossissement, à une entaille grossière, il portait une botte d’osier fraîchement cueilli.

Il s’arrêta au bord de l’oseraie, et chanta encore à pleine voix :

Connais-tu… le pays ?

Véritablement, c’était comme un défi à la nature, une parodie effrayante de la vie. Au contact de cette laideur humaine, les mornes bruyères du coteau paraissaient des plus splendides. Rien que sa présence changeait en jardins de rêve les affreuses tourbières avec leurs eaux noirâtres et leurs verdures grises.

Mon premier mouvement fut de me jeter sur le misérable avorton. Je parvins pourtant à me