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Ce n’était pas un chant : c’était quelque chose comme un ricanement traînard et tremblé, quelque chose d’intermédiaire entre un cri de singe, un nasillement d’orgue, un aboi de chien, un croassement de corbeau. Toutes les sonorités désagréables et stupides, ont eût dit qu’elles se fussent individualisées dans cette voix qui chantait sous l’oseraie. Cela roulait sous l’oseraie, cela s’avançait sous l’oseraie… tantôt clair, tantôt étouffé ; et j’entendais, avec un piétinement mou, le bruit des branches déplacées par la voix. Puis cela se taisait, recommençait, se taisait encore.

Je me levai machinalement, un peu ivre. De quoi ? Je l’ignorais. Je pris une pierre et la lançai dans le trou. Ensuite j’écoutai. Nul choc, nul bruit ne m’avertit que la pierre était descendue au fond. Elle continuait de descendre, de descendre toujours, dans une chute silencieuse, comme si elle devait traverser toute la terre. Et le silence, l’effroyable silence de cette pierre jetée dans cet abîme, était si impressionnant que je haletais, la gorge sèche, la sueur au front.

La voix reprit encore :

Connais-tu… le pays ?

et cessa bientôt. Et le bruit des branches remuées cessa aussi. Et je vis, tout à coup, débouchant de l’oseraie, le petit bossu.