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mement profond, et même, si j’en crois la rumeur publique, sans fond, comme l’enfer… J’ai constaté ce phénomène qu’on n’entend pas tomber les pierres qu’on y jette… Des ronces épaisses, enchevêtrées, des clématites sauvages, enlacées les unes aux autres, ferment sa gueule noire et sans voix. À gauche du trou, sur une largeur d’à peu près deux cents mètres, s’étendent des sortes de tourbières où ne croissent, entre des flaques d’eau brunâtre, qu’une herbe grise, sale, et, de-ci, de-là, quelques prêles plus verts. L’aspect de tout cela est singulièrement sinistre. Pourtant, à la droite du trou, dans une fente du coteau, une oseraie pousse très fraîche, très puissante de végétation, et dont les longs brins brillent comme des tiges d’or… Les légendes transmises de génération en génération sur ce lieu maudit sont si terribles, d’autant plus terribles qu’elles demeurent, d’année en année, d’une terreur plus vague, plus imprécise, que les gens s’écartent de la Fontaine-au-Grand-Pierre avec épouvante, comme si c’était un endroit de mort, une terre enchantée… Il est encore accrédité, parmi nous, que des fantômes y reviennent la nuit, et des bergers, en traversant le coteau de bruyères, ont, même en plein jour, vu distinctement flotter, au-dessus du trou, des âmes, les unes toutes blanches, les autres toutes