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— C’est vous qui êtes une espèce de je ne sais quoi !… interrompit Marie qui, ayant vidé son panier et fini de ranger son linge sur la table, reprit son panier et se disposa à sortir.

Je n’essayai pas de la retenir, tant je sentais mon impuissance sur elle. Oui, je sentais réellement que jamais je ne ferais passer dans son âme le moindre désir de moi, dans son esprit la moindre compréhension de la science moderne. J’aurais pu lui dire encore :

— Vois la belle, la splendide, la glorieuse œuvre d’humanité que nous pourrions faire ensemble. Avec quelle joie exaltée, beaux et forts comme nous le sommes tous les deux, nous pourrions travailler à l’amélioration de l’Espèce, et, par conséquent, au grandissement de la patrie !

À quoi bon ? Puisque, quand je lui parlais de l’Espèce, elle s’imaginait que c’était une injure que j’adressais au petit bossu. Je la laissai partir. Et, comme elle partait, je dis d’une voix bredouillante de colère et de dépit :

— C’est bien !… Je ne te parlerai plus de rien… plus jamais… Tu n’es pas digne de vivre la vie que je t’offrais, de collaborer avec moi à l’œuvre du bonheur universel… Je te livre à ton destin… Va-t’en… va retrouver ton monstre… Pâme-toi sur sa bouche fétide, sur ses dents cariées… Frotte ton corps aux aspérités