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Mais, redevenant subitement tendre :

— Écoute, Marie, suppliai-je… moi aussi je sais de l’amour tout ce qu’en savent les bossus… j’en sais même davantage… Viens ici, Marie !…

Mais Marie ne bougea pas… ne me regarda pas… Elle continuait de ranger sur la table son linge, dont elle faisait des tas.

— Regarde-moi, Marie. Je suis beau, moi, je suis un homme… Et si c’est le vice que tu aimes, je t’assure que je suis plus vicieux que tous les bossus réunis. Écoute… Ce n’est pas possible que tu te donnes à un tel monstre. C’est un crime, le plus grand des crimes. Oui, oui, un crime envers toi-même, envers Dieu, envers la nature, envers l’Espèce. Dieu, la nature, l’Espèce et moi-même, nous ne pouvons tolérer un tel attentat contre toutes les lois de la vie. As-tu lu Darwin ? Lis Darwin. Je te le donnerai à lire. Et tu verras ! Toi, la force, la santé, la splendeur de la chair, avec ce monstre ? Allons donc ! je te dis que c’est impossible ! Ou bien alors, rien n’existe plus ; il n’y a plus d’harmonie, de beauté, d’équilibre, il n’y a plus rien, à cause du caprice monstrueux d’une femme. Et ce n’est pas seulement Dieu qui proteste et qui te punira, ce n’est pas seulement la nature que tu outrages, et l’Espèce que tu avilis, c’est… c’est… c’est…