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chantent les remous d’eau dans une écluse qui se vide…

— Pourquoi es-tu sa maîtresse ?… repris-je après un silence, sur un ton moins dur et presque douloureux.

Marie répliqua simplement :

— Parce que je l’aime…

— Et pourquoi l’aimes-tu ?

Elle haussa les épaules, commença de vider sur la table avec méthode son panier plein de linge et dit encore :

— Qu’est-ce que ça vous fait ?

— Pourquoi l’aimes-tu ?

J’avais mis dans cette interrogation réitérée, concentré tout ce qu’il y avait en moi de puissance amoureuse, de séduction charnelle, et de sourde colère aussi… Elle répondit :

— Parce qu’il est beau !

— Je te défends de te moquer de moi ainsi !

Marie ajouta gravement :

— Et il est beau parce qu’il est pauvre… parce que tout le monde l’insulte ou le bat… parce qu’il est malheureux…

— Ah ! ah ! ta pitié, je la connais !… m’écriai-je. Moi aussi, j’ai de la pitié… mais je n’ai de la pitié que pour les forts, les grands, les riches, les heureux… Toi… Ah ! ah !… tu l’aimes, coquine… Oui… oui… tu l’aimes… parce que les bossus… enfin… parbleu !…