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veilleux visage, encadré par l’arabesque des vignes, s’enlever, tout rose, à peine rose sur la blancheur des lingeries pendues sur une corde au fond de la pièce où elle travaillait. Elle ne me regardait jamais ; jamais elle ne levait sa tête, chargée de l’or roux de ses cheveux, vers moi.

Et ce qui m’exaspérait, c’est que, tous les soirs, sa journée finie, elle allait chez le cordonnier, dans l’humble, sale et noire maison du cordonnier, qu’elle emplissait de sa gaieté et du rayonnement de ses yeux. Que faisait-elle là ? Qui ou quoi pouvait l’attirer là, dans ce taudis sordide, au milieu de l’horrible odeur du vieux cuir et de la poix ?

Un jour, j’appris qu’on l’avait surprise, embrassant sur la bouche le fils du cordonnier, l’affreux petit bossu dont la bosse, à mesure qu’il grandissait, devenait quelque chose d’indescriptible et de si envahissant qu’on ne voyait plus, maintenant, dans son creux raviné que deux petits yeux obscènes et ricaneurs.

J’avais assez pratiqué les femmes pour savoir ce que leur cœur peut contenir de pitié, de perversité aussi. Je savais qu’elles ignorent, la plupart, le dégoût, et qu’il n’est point rare de voir des femmes se pâmer d’amour aux lèvres des monstres. Était-ce un sentiment de pitié, était-ce un goût naturel de l’horreur qui avait