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longent, couvertes d’assiettes de palourdes, de homards et de sardines fraîches. Quelques baraques en planches moisies figurent des cabines de bain, et des costumes à raies rouges et bleues sèchent, pendus à la barre d’un trapèze. Un musicien indigène, coiffé d’un béret de matelot, souffle dans un instrument de cuivre très étrange, qui tient du piston, de l’ophicléide et du cor de chasse, les airs agaçants de la Mascotte, et des ânes à touffes de poils longs et roux se poudrent dans le sable, les quatre fers en l’air. On appelle cet endroit le casino.

Du casino, le spectacle est admirable et d’une douceur infinie. La mer est rose, le ciel rose, et la côte, là-bas, — que borde un étroit ruban d’eau plus blanche, — rose aussi, plus rose que la mer et que le ciel, avec de petites taches bleues, et des blancheurs subites qui, çà et là, étincellent vivement. Il faudrait le pinceau de Claude Monet pour exprimer cette clarté, cette légèreté, cette limpidité de rose. Un nuage passe, et voilà une ombre violette qui s’allonge sur la mer, s’échancre, glisse lentement, pareille à une île qui flotterait… Un nuage passe, et c’est une ombre verte, d’un vert lumineux, transparent, où l’on devine les profondeurs sereines, immenses, comme les ciels des soirs tranquilles ou des jeunes matins… Et tandis qu’une goélette et deux côtres restent immo-