Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/219

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ne pouvant rien obtenir d’elle par la séduction, je tentai de la vaincre par la terreur. Je la menaçai de mon père, de ses terribles fonctions ; je la menaçai de toutes sortes de catastrophes. En vain. Elle devenait plus méprisante ; c’est tout ce que j’y gagnais.

— Jamais, jamais, jamais !

— Quand même je devrais te défoncer le crâne et la poitrine, et t’avoir morte, je t’aurai.

C’était par un rire insultant, diabolique, qu’elle me répondait, un rire qui m’entrait dans le cœur, comme s’il eût été une grosse vrille de fer. Et ce rire soulevait, sous la mince étoffe de sa chemisette, les deux admirables rondeurs de ses seins.

Non seulement elle me détestait, mais encore elle ne me craignait point, ni moi, ni mon père, ni le curé, ni la sainte religion. J’étais au comble de la rage et du désir.

Marie habitait, avec ses parents, tout près de chez moi, de l’autre côté de la rue, et juste en face l’échoppe du cordonnier, une petite maison blanche dont la façade était tapissée tout entière de vignes. Elle était repasseuse de son métier. Vingt fois, trente fois par jour, je passais devant la maison, le corps bien droit, le mollet tendu, la moustache bien tirée. Et c’était pour moi un supplice et une joie infinie de la voir, de voir son buste souple et son mer-