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inculquer un peu de ma force et de ma beauté… Je travaillais donc à l’amélioration et, par conséquent, au bonheur de l’espèce. Cette seule considération suffisait à m’enorgueillir, à me persuader que j’étais un bon et utile citoyen, bien plus utile, en vérité, que si, comme tant d’autres, j’eusse perdu mon temps et mes puissantes facultés génératrices à me morfondre dans une étude de notaire, ce qui était l’ambition de mon père, ou derrière le comptoir d’une boutique, ce vers quoi ma mère, avec son sens pratique de la vie moderne, cherchait à m’orienter… Content de mon rôle social, mais sentant néanmoins qu’il y manquait quelque chose, je l’augmentai de celui d’être un très bel ivrogne…

Parmi les filles du pays, une seule m’avait résisté, et c’était précisément celle que je désirais le plus ardemment… C’était une superbe créature, très blanche de peau, très rousse de cheveux, avec des yeux tristes et infiniment voluptueux… Je crois bien que je n’ai jamais rencontré chez une femme de formes plus puissantes et en même temps plus gracieuses et plus souples… Une véritable splendeur, un parfait chef-d’œuvre de la nature. Je la désirais passionnément, à raison de sa beauté, d’abord, et surtout, je crois bien, à raison de sa résistance. Jamais elle n’avait voulu écouter