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unies par un lien en quelque sorte sacré : la haine mondiale du pauvre !

Et vous allez voir comment il m’arriva de mettre en pratique ces théories que la philosophie peut condamner, mais que la science absout, à raison du bonheur de l’espèce.

II

Voici comment j’appliquai les théories scientifiques dont je vous ai succinctement parlé.

J’avais alors vingt ans, et j’étais un jeune homme harmonieux et vigoureux. Je portais avec fierté ce que Catulle Mendès appelle : la honte d’être beau. Conséquence de mon éducation ou paresse naturelle, je ne savais que faire dans la vie, et je ne faisais rien, au sens que l’on donne à cette chose : ne rien faire. Toutes les professions libérales ou autres qu’il m’eût été permis et facile « d’embrasser », comme on dit, me dégoûtaient profondément. Je me contentais d’ « embrasser » les belles filles du pays, lesquelles, je dois le déclarer, séduites par ma vigueur musculaire et ma beauté, ne m’étaient point rebelles… Pour la forme, mes parents se désespéraient bien un peu de mon inaction, mais, au fond, ils étaient flattés de mes succès… Et puis, ils se disaient :