Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/210

Cette page a été validée par deux contributeurs.

du cimetière. En rentrant à la maison, mon père disait à ma mère :

— Diable d’enfant ! On aura bien du mal à en faire un homme ! Il est trop nerveux ! Il est trop sensible ! C’est une chiffe !

J’avais un petit chien, un loulou blanc, Pomponnet. Oui, je l’appelais Pomponnet. Oublié par des saltimbanques de passage dans le pays, je l’avais recueilli et aimé. C’était un compagnon délicieux, docile, toujours prêt à jouer, et qui se tenait debout sur son derrière comme un petit homme. Je m’amusais énormément avec lui. Mon temps, je le passais à le tirer de toutes mes forces par la queue, qu’il avait épaisse, fournie, soyeuse, si bien qu’en très peu de semaines, cette jolie queue était devenue aussi rase et glabre qu’une queue de rat. Ah ! le pauvre Pomponnet ! En y repensant après tant d’années, j’en ai le cœur tout retourné. Qu’il était caressant, fidèle, joli, et si drôle ! Ses regards avaient véritablement quelque chose d’humain. Il creva d’avoir avalé un os pointu qui lui perfora l’intestin. Et son agonie fut atroce. J’eus un tel désespoir de cette mort qu’on crut, chez moi, que j’allais devenir fou.

— Pour un chien ! disait mon père.

— Pour un sale chien ! accentuait ma mère.

— Ah ! bien, reprochait la bonne, quand ce sera le tour de votre père ou de votre mère…