Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/203

Cette page a été validée par deux contributeurs.

six personnes écrasées et je ne sais plus combien d’autres avec de simples fractures aux jambes, aux bras et au crâne. Une boutique de pharmacien, en face, ne désemplissait pas de blessés. Beaucoup, aussi, se plaignaient, courtoisement d’ailleurs, d’avoir été dévalisés, qui de leurs montres, qui de leur porte-monnaie, qui de leurs mouchoirs. Et d’étranges rôdeurs chuchotaient dans l’oreille des femmes des paroles abominables. Enfin, la congestion pulmonaire, mise en belle humeur par cette bise humide et glacée, se promenait de visage en visage, comme une abeille de fleur en fleur. Et je plaignais, non pas la foule, qui attendait l’omnibus, mais cette excellente Compagnie d’omnibus qui, faute de voitures, de chevaux, de conducteurs et de cochers, faisait attendre la foule, bien tranquille dans son monopole et protégée contre les réclamations possibles, hélas ! mais rares, heureusement, par toutes les forces administratives de la République, et aussi, et surtout, disons-le à notre orgueil, par toutes les tolérances individuelles de ces bons, respectueux, soumis citoyens et citoyennes français que nous nous plaisons d’être — admirable bétail humain à qui jamais l’idée ne viendra de se rebeller contre quelque chose, contre quoi que ce soit.

Et, alors, il se passa un fait véritablement