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d’une attente à la station, si bien que, lorsqu’on arrivait enfin, on ne retrouvait plus ni les rues, ni les gens, et que ces derniers avaient eu le temps, soit de mourir à la suite de longues maladies, soit de faire fortune ou faillite, et de se retirer à la campagne, également riches et heureux, comme il convient !

J’attendais donc l’omnibus. La pluie tombait drue et froide, actionnée par le vent qui soufflait du nord-ouest, et la faisait pénétrer en vous comme une multitude de petites aiguilles de glace. Nous pataugions dans la boue, inexprimablement. Toutes les dix minutes, l’omnibus passait, complet. Et les conducteurs, sur la plate-forme, les cochers sur leurs sièges, et jusqu’aux contrôleurs, derrière leurs guichets, se tordaient de rire à voir cette foule chaque fois déçue, se ruer autour de l’omnibus, comme un raz-de-marée, et se retirer ensuite — ah si piteusement !… Il fallait entendre avec quelle joie moqueuse ces puissants fonctionnaires criaient : Complet ! comme pour mieux nous faire sentir le ridicule de notre situation. Quelques récriminations partaient bien, d’ici et de là, mais si timides que ce n’est pas la peine de les mentionner. En somme, l’attitude de la foule était excellente, et telle qu’on doit l’attendre de bons Français qui votent et qui paient l’impôt.