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Je regagnai mon wagon. Après tout, elle n’était pas si malade que je l’avais pensé. Une faiblesse ! voilà tout !… Maintenant, elle va s’endormir… Et puis, les belles-mères !…

La nuit était venue. Je ne songeais plus à la vieille dame. Et, sur les coussins, je m’étendis tout mon long, bercé par le rythme endormeur des wagons roulant à toute vitesse…

Je ne me réveillai qu’à Rennes, où je descendais. Encore tout engourdi de sommeil, je suivais le facteur qui portait ma valise, sans avoir conscience de ce qui se passait autour de moi… Je voyais des ombres fuir, des ombres se croiser, des êtres de rêve dans des paysages imprécis, auxquels les vitrages mal éclairés de la gare donnaient des aspects de terres noyées dans une eau de ténèbres et de lumières funéraires… Tout d’un coup, le facteur s’arrêta devant un rassemblement. Quelques personnes criaient en gesticulant :

— Qu’est-ce que c’est ?… Qu’est-ce que c’est ?…

— Un médecin !… Vite, un médecin ! clamait un voyageur.

— Est-ce un accident ? demandai-je au facteur.

— Non, répondit cet homme paisible… C’est une femme qui est morte dans le train… une vieille femme !…