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lemment hors de moi, m’impressionne et me prédispose aux sensations les plus lugubres. Alors, pour distraire cette manie tragique, j’essaie de m’intéresser à tous ces va-et-vient capricants et désordonnés qui font ressembler les gares à d’immenses maisons de fous ; je tâche de m’amuser aux multiples et comiques spectacles de cette humanité en casquette anglaise qui ne sait où elle va et qui, essoufflée, haletante, se précipite aux guichets, aux wagons, s’y engouffre, s’y empile, s’y bouscule, ainsi que les fuyards d’une armée vaincue qui croient avoir trouvé une retraite sûre. Cela amène des scènes dont je m’efforce d’accentuer le sens caricatural pour ne pas voir ce qu’il y a, au fond, de terrible ennui et de véritable effroi.

Donc, je flânais, lorsque je me heurtai à un groupe de trois personnes qui stationnaient devant un compartiment de troisième classe. C’était, d’abord, une vieille dame d’une pâleur cireuse, toute en noir. Un châle de cachemire fané recouvrait son dos rond que la toux, de temps en temps, secouait comme une chiffe. Un homme et une femme l’accompagnaient, l’homme, d’allure vulgaire, la femme, dure et sèche, et dont les yeux semblaient garder le reflet blanchâtre de registres et de livres de comptes. Son masque, qui présentait une surface osseuse trop largement accusée, se plis-