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tordus, au feuillage presque noir. Juché sur un des madriers de l’estacade, un amateur de pêche maugrée, sous le large chapeau de paille en forme de cloche qui l’abrite, comme d’une tente. Subitement dérangé, il replie sa ligne d’un air furieux et s’en va.

— Hé ! m’sieu Padioleau, fait un petit homme à collier de barbe noire, qui se balance sur la chaîne mobile… Ça a-t-ty mordu, la dorade ?

— Gnia, gnia, gnia !… grogne M. Padioleau.

Puis il s’ébroue ainsi qu’un vieux cheval et s’enfuit vers le bois, à grandes enjambées, plus vite.

Un passager, bonhomme court et raide, à figure ingrate et considérable de cuistre de collège, s’agite extraordinairement. Il est vêtu de noir des pieds à la tête, avec un chapeau haut de forme dont le poil se rebrousse au vent.

— Dis donc, Rosalie, s’écrie-t-il en s’adressant à sa femme, grosse personne blonde, molle et tavelée… C’est très curieux ! Jamais je ne me serais figuré une île comme ça… Et toi ?

— Moi, je ne sais pas, répond Rosalie d’une voix chantante… moi, je trouve ça très beau.

— Très beau ! très beau !… Évidemment c’est très beau… C’est très beau, en effet ; mais ça m’étonne, ça me trouble… Et toi ?