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Dans la salle d’attente ils étaient une trentaine de voyageurs — tous chasseurs, — armés d’étuis en cuir, bottés de cuir, sanglés de courroies de cuir où pendaient des filets pareils à des chevelures scalpées ; le collet du paletot de fourrures relevé jusqu’au bord du chapeau mou, on ne voyait de leurs visages que des barbes terribles et des ébouriffements de poils qui donnaient de la peur. Évidemment, le montagnard Tholrog, à la peau blanche, ou le brun lacustre Rob-Sen, si visionnairement évoqués par J.-H. Rosny, dans son admirable Eyrimah, devaient être ainsi. Et de les voir, avec tant de cuir fauve, tant de fourrures, et tant de poils, arpenter la salle à grandes enjambées retentissantes, la narine flairant déjà le gibier, l’œil fouillant le buisson où dort la proie, le bras décrivant à l’avance des gestes de massacre, cela vous reportait au temps fabuleux de la Préhistoire, et des furieux combats de l’homme avec le tigre spæleus, l’aurochs et le loup. Ils parlaient entre eux, et leur langage presque incompréhensible, en argot quaternaire, ce langage fait d’articulations rauques ou sifflantes, d’abois variés et de chromatiques hurlements, n’était pas pour effacer cette impression que j’eusse devant moi de véridiques échappés des palafittes de la Suisse ou des grottes de l’Ariège. Autant que je pus saisir un