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fleuve qu’aucune ride de brise n’agitait, brûlait, incandescente et farouche, ainsi qu’une plaque de métal chauffée à blanc. Les nymphéas eux-mêmes s’étiolaient dans l’eau trop chaude ; les acoïdées laissaient pendre, sans force et flétries, leurs bizarres feuilles, en dard de lance ; et des poissons morts s’en allaient doucement, au courant, le ventre gonflé hors de l’eau et les yeux vides… Tout le long de la rivière, les berges étaient roussies. Nulle verdure fraîche, nulle fleur. Les chardons grillés et noirs épandaient leurs graines ailées, avec un petit bruit sec. Sous les herbes mortes, sous les feuilles desséchées, la terre craquait et se fendait, pareille à de la brique dure. Sur le chemin, nul promeneur, nul paysan dans les champs, alentour ; et pas même un pêcheur à la ligne sur les rives. Rien que ce patron, suant et haletant, à l’ombre du marronnier, et rien que ces hommes de la péniche, qui travaillaient sous le soleil, mortel pour lui.

Ils étaient gais. Quelques-uns chantaient des bribes de chansons. Tous, sur la passerelle, passaient du même pas tranquille, le torse courbé sous le faix, ignorants de leur misère, dédaigneux de leurs fatigues et trouvant tout naturel que leur gorge haletât sous la soif ardente ; et que la sueur ruisselât huileuse et fétide entre les rigoles de leur peau. Ils eussent