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cela, ça fend le cœur !… C’est propre, propre !… Les meubles astiqués, le linge bien rangé dans l’armoire… Dans un tiroir, il y avait des petits rubans de soie, bleus, pliés avec un soin, avec une tendresse ! et des petits bonnets ! et des petites mitaines !… C’étaient les rubans, les bonnets et les mitaines de sa petite qui est morte !… Est-ce qu’une folle a de l’ordre comme ça ?… Est-ce qu’elle a du souvenir comme ça ?…

Je ne puis m’empêcher de m’écrier :

— On n’a pas le droit…

Mais le bonhomme m’interrompt…

— Contre les petits et les malheureux, contre tous les êtres qui sont sans défense, on a toujours le droit, monsieur… on a toujours le droit !…

Puis, après un silence pénible, le vieux jardinier reprend :

— J’en ai déjà bien vu des gens qu’on a enfermés !… Eh bien ! ils n’étaient pas fous… On les a enfermés parce que les uns étaient trop tristes, les autres étaient trop gais… D’abord, moi, je crois qu’il n’y a pas de fous !… il y a des gens qui ont leur idée…, il y a des gens qu’on ne comprend pas bien… Voilà tout !…

Nous marchons quelques pas en silence… Et j’admire ce vieux homme, dont le regard est