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sorcière comme il y en avait, autrefois, dans les îles enchantées des faiseurs de contes.

Un jour d’orage, la rafale s’acharna contre les meules de foin. De grandes mèches blondes, de longues queues de comètes éteintes, tourbillonnaient, volaient, emportées, au loin, dans le fleuve. Et la mère Riberval, les bras en l’air, ses jupes claquant comme des toiles ralinguées, bondissait, oblique, au-dessus du sol, essayant de retenir, au passage, les longues chevelures fuyantes de foin qui, parfois, s’accrochaient, très haut, aux branches des peupliers et se tordaient, et claquaient, ainsi que des drapeaux déchirés. Derrière elle, le cochon sautelait à petits bonds, poussait des ruades courtes, tournait sur lui-même, mêlant, dans le fracas du vent, aux hululements de sa maîtresse, de plaintifs, perçants et étranges grognements. Longtemps ce spectacle m’obséda, m’impressionna comme un cauchemar.

La mère Riberval n’aime pas qu’on vienne dans son île. Elle éloigne les promeneurs d’un regard qui ne promet rien de bon, d’un regard obstiné et fixe qui pèse sur eux comme une menace. Les pêcheurs à la ligne n’osent plus s’aventurer le long des petites plages de sable où le goujon pullule, ni au-dessus des trous profonds au fond desquels sommeillent les grosses carpes dans leur cuirasse d’or. Elle est