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font des touffes anormales, monstrueuses : des voûtes de feuillage, des cavernes d’ombre au fond desquelles on pourrait s’allonger et dormir. Et les liserons grimpent partout, se rejoignent, s’enlacent aux osiers, secouant dans l’air leurs clochettes blanches… De grands hélianthes gardent le seuil de la cabane ; l’unique fenêtre s’orne d’un pot de grès où fleurit un grêle géranium.

C’est là qu’habite la mère Riberval.

Soixante ans, haute, droite sur ses jambes, les bras musclés, les reins puissants, elle est plus dure au travail qu’un terrassier. C’est elle qui fauche sa prairie, qui fane son foin, qui met son foin en meules, en inutiles meules, car, lorsque le vent ne le disperse pas, toujours le foin pourrit sur place, et personne ne l’achète. L’hiver, sa jupe roulée et ficelée autour des cuisses, en forme de pantalon, elle coupe son osier, alerte et vive, sans faire attention aux ronces qui lui éraflent la figure et les mains. L’osier, soigneusement bottelé, finit par pourrir lui aussi, comme le foin, sans trouver d’acquéreur. La mère Riberval bêche encore un petit coin de jardin qu’elle n’ensemence jamais, ou bien elle ébranche ses peupliers, sans cesse en train de quelque mâle et vaine besogne. Un cochon qu’elle engraisse chaque année, un cochon tout rose et folâtre dans la verdure, la