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eux, tendant la main, et demandant du travail. Mais il n’y a plus de travail ; toutes les cheminées sont ramonées ; et quand ils imploraient un morceau de pain, ils entendaient toujours les mêmes paroles : « Encore des vagabonds ! C’est étonnant ce qu’il y a de vagabonds, cette année, sur les routes… Pourquoi ne fourre-t-on pas tout ça en prison ? » Ils voudraient bien être fourrés en prison, parce qu’ils auraient moins froid, peut-être, et moins faim !… Hélas ! les prisons, aussi, sont pleines partout !… Tout à l’heure, ils ont aperçu, à quelques mètres de la route, une belle ferme, avec une grande cour et des grands bâtiments tout autour. Sans doute qu’il y a là des granges, des fanis, de chaudes étables… On serait si bien là-dedans !… Et ils se sont émerveillés à suivre, dans l’air, un gros panache de fumée qui s’élevait au-dessus du toit, tourbillonnait un instant, et s’évanouissait dans le ciel… Alors ils se sont décidés à demander un abri, un tout petit coin dans la paille, ou sur le fumier, pour la nuit… Leurs petites faces noires, leurs toques couvertes de suie ont mis les gens en colère et en défiance : « Non, non… Allez-vous en… Il n’y a pas de place ici pour les voleurs ! » Et comme ils ont insisté, une femme, grosse et rouge, les a menacés de lâcher sur eux les chiens… En effet, un chien hérissant sur son dos de longs poils roux, la gueule terrible, aboyait, s’élançant, d’un bond, jusqu’au bout de sa chaîne… Ils ont regagné la route, le cœur gros ; ils ont marché, marché encore… Puis, brisés de fatigue, grelottant sous leurs noires guenilles, ils se sont arrêtés… La plaine est vide… Aucune lumière… Que vont-ils faire ? Où vont-ils aller ? Ils ne savent pas… La terreur du ciel les écrase… le froid les déchire… Ils sentent dans leur corps une douleur vive, comme si leur peau était à vif… Les petits ramoneurs se sont rapprochés l’un de l’autre… se sont serrés l’un contre l’autre…