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rien… Il est vrai que je suis un pauvre homme, sans intelligence et sans malice. Ce que je prends pour des actes de vertu, ou simplement pour des actes permis, ce sont peut-être de très grands crimes…

Il se rappelait avoir sauvé, un jour, un petit enfant qui se noyait dans la rivière ; un autre jour, ayant très faim, il avait donné tout son pain à un misérable qui se mourait d’inanition sur la route.

— C’est peut-être cela ! se lamentait-il. Et peut-être que ce sont là des choses monstrueuses et défendues !… Car, enfin, si je n’avais pas commis de très grands crimes, je ne serais pas, depuis un an, dans ce cachot !…

Ce raisonnement le soulageait, parce qu’il apportait un peu de lumière en ses incertitudes, et parce que Jacques Errant était de ceux pour qui la Justice et les juges ne peuvent pas se tromper et font bien tout ce qu’ils font.

Et quand il était repris, à nouveau, de ses angoisses, il se répétait à lui-même :

— C’est cela !… c’est cela !… Parbleu, c’est cela !… ou autre chose que je ne connais pas… car je ne connais rien, ni personne ni moi-même. Je suis trop pauvre, trop dénué de tout pour savoir où est le bien, où est le mal… D’ailleurs, un homme aussi pauvre que je suis ne peut faire que le mal !…