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passant. Et pressentant l’approche de quelques fantaisies indéterminées, un besoin sourd de s’évader, hors des cloisons de sa chambre, par delà les plafonds crasseux de son bureau, il s’effraya. Mais cet extraordinaire bouleversement de son être s’apaisa bientôt, la crise s’évanouit. Peu à peu, il recommença à ne plus rien dire, à ne plus rien voir, à ne plus rien entendre, à ne plus s’arrêter devant une affiche, à ne plus sentir la commotion d’un regard humain. Il retrouva le tic-tac régulier de son horloge intérieure. Et la Tour Eiffel se confondit avec le Louvre, Notre-Dame, l’Obélisque, l’Arc de Triomphe, le Panthéon, les Invalides, dans la brume intraversable dont s’enveloppaient la mort de son esprit et la mort de ses yeux. Il recommença de ne penser à rien.

Il recommença de ne penser à rien. Et, pourtant, il lui arriva une chose inattendue et stupéfiante.

Une nuit, il rêva !

Il rêva qu’il pêchait à la ligne, au bord d’un fleuve.

Pourquoi ce rêve ? Jamais il n’avait pêché à la ligne.

Pourquoi un rêve ? Jamais il n’avait rêvé.