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mées : « Et bientôt, vous serez, vivantes, ô mes chères âmes, pareilles aux momies desséchées dans leurs tombeaux. Et les outres rosées de vos seins qui, tant de fois, me versèrent l’ivresse du désir, se tariront, ô mes douces amours, et pendront sur vos charmes abolis, plus fripées, plus aplaties, plus hideuses que des lambeaux d’amadou et des paupières mortes. Et vos bouches, ô mes reines où, dans les parfums de votre haleine palpita l’aile frémissante du baiser, vos bouches ne seront plus qu’un trou fétide et noir, qui soufflera la mort, ô vous, les lumières divines de mes yeux ! »

Pourtant, elle n’était point trop repoussante, la pauvre vieille. On voyait encore qu’elle avait dû être belle, autrefois. En dépit des rides du cou, des creux d’ombre qui évidaient sa gorge entre les tendons décharnés et les clavicules saillantes ; en dépit des mamelles, coulant ignoblement avec d’étranges flaccidités, sur des bourrelets qui lui cerclaient le torse ; en dépit des écroulements de la hanche, où la peau flottante lui battait comme une vieille étoffe trop lâche et usée, on retrouvait une élégance de lignes, une noblesse de contours, des beautés vives encore, éparses parmi toutes ses flétrissures. Les jambes, surtout, un peu maigres, un peu trop longues, mais droites et fermes, sans engorgements aux genoux, sans