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vant plus travailler, la mère Rosa Pelletrini ne vivait que de charités publiques, de quêtes faites, le dimanche, sous le porche de l’église. Certes, cela l’effrayait beaucoup de se séparer à jamais de cet argent, tout son argent, et de courir, à son âge, l’incertaine chance d’un voyage hasardeux. Mais le désir, transformé bien vite en manie obsédante, étouffa les conseils de la prudence, triompha des résistances de l’avarice. D’ailleurs, à part de menues infirmités communes aux vieillards, elle était droite encore, et vaillante, se portait bien. Et puis, dans le fond, elle espérait que son fils serait riche, que l’affaire ne serait pas aussi folle, aussi mauvaise qu’il était permis de le craindre. N’ayant point lu Leopardi, la mère Rosa était optimiste. Elle brûla un cierge à la madone, et, confiante, gaie, la foi dans le cœur, elle partit.

Quand elle arriva, la tête un peu trouble, et très lasse, son fils, d’abord, ne la reconnut point. Et lorsqu’elle se fut nommée, il poussa un épouvantable juron.

— Que viens-tu faire ici ? cria-t-il.

— Te voir, mon enfant, eut peine à répondre la bonne femme.

Il s’emporta, l’air mauvais :