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les coudes écartés, la voix tremblante de colère, elle vociféra :

— Ah ! la carne ! ah ! la sale carne !

Ses petits yeux noirs, aux paupières bridées, s’emplissaient d’une lueur farouche ; une expression de férocité bestiale crispait ses lèvres dont les coins s’amincirent, s’allongèrent, lui coupant la figure comme d’un hideux coup de sabre

Goudet demanda :

— Et qué qu’elle a dit, ma mè ?

— Elle a dit què se foutait d’mé, d’té, d’tout le monde… qu’elle avait gagné son bien toute seule… qu’il était à elle toute seule… qu’elle en ferait ce qu’elle voudrait… Et pis qué vendrait son pré, sa maison, ses frusques, le tremblement, plutôt que d’t’laisser une centime, t’entends bien, une centime !

— C’est-y tout ?

— Non, c’est point tout… Dans la rue, cont’e l’boucher, j’ai rencontré la femme à Sorieul… Sais-tu ben ce qué m’a dit ? « Paraît, qué m’a dit, que la belle sabotière, aujor d’aujord’hui, met tous ses billets au nom de Roubieux, pour vous faire du tort, après sa mort ! »… Enfin, elle n’sait pus quoi inventer, c’te garce-là !

La physionomie de Goudet se rassombrit… Deux fois, il fit le tour de la pièce en jurant et