Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/45

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans laquelle des ouvriers buvaient, le coude levé ; et il s’engagea dans une sente qui, par la vallée, mène au bois de Pied-Fontaine. Le jour parut, frileux et triste… De grandes brumes traînaient sur les prairies, le ciel était bas… Comme il marchait lourdement, en balançant la tête, dans la sente étroite que des flaques d’eau coupaient, de distance en distance, Rabalan rencontra une paysanne, les manches retroussées jusqu’au coude, qui portait un seau plein de lait… La paysanne aussitôt obliqua dans le pré, posa son seau sur l’herbe et se signa… Rabalan continua sa route… Plus loin, il croisa une vieille femme qui trottinait sur un âne…

— Hé ! la Thibaude, dit-il… Bonjour la Thibaude, bonjour !

Mais la Thibaude se mit à trembler, faillit tomber de son âne, et, tout effarée :

— Sainte Vierge !… implora-t-elle.

Et, se frappant la poitrine, elle marmotta d’étranges oraisons.

Rabalan courba le dos, balança davantage sa tête, et poursuivit son chemin.

Ayant quitté la vallée, passé la rivière sur un pont fait de deux arbres jetés d’un bord à l’autre, il montait une traverse qui longe les champs et s’enfonce sous le bois, rocailleux et raide… Une vache qui paissait l’herbe abroutée