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Piédanat par-là ; elles m’appelaient toutes : tante Piédanat. On m’invitait souvent à déjeuner, et souvent nous passions nos après-midi à siroter des verres de chartreuse, les coudes sur la table, ou bien à faire de longues parties de bésigue et des réussites. Elles me contaient aussi leurs petites histoires, leurs ennuis. J’ai pu leur rendre bien des services secrets qui m’étaient grassement payés en argent et de toutes les manières, car il ne se passait pas de semaine que je n’emportasse quelque chose de chez ces dames : une robe, des chemises, un chapeau, enfin de quoi me vêtir, me linger, et très chiquement, je vous promets…

Est-ce que je rêvais ? L’étonnement me fermait la bouche, me clouait sur mon siège. Il me semblait que j’étais le jouet d’une hallucination. Tante Piédanat, Charles, la femme aux cheveux rouges, la victoria, et toute cette peluche, et tous ces bibelots, et tous ces parfums, et le pianiste, et nos dîners d’autrefois, tout cela dansait dans ma pauvre cervelle une sarabande effrénée. La vieille reprit :

— C’est sur ces entrefaites que Charles fit connaissance de la petite. Il est si beau, mon Charles ! La petite en devint folle. Si vous saviez comme elle est gentille et bonne pour lui ! On ne peut pas le savoir, non, on ne le peut pas. Elle exigea qu’il vînt habiter avec