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gorge, à lui faire rentrer dans la bouche tous ces mots horribles dont elle me poignardait. La renverser, la terrasser, lui imprimer mes genoux sur le ventre, lui frapper le crâne contre l’angle des murs, je me rappelle que j’y songeai un instant. Je parvins à contenir l’effrayante colère qui grondait en moi. Et, m’humiliant plus encore, masquant d’un repentir imbécile tout le désir de meurtre par quoi j’étais remué, je lui dis :

— Vous vous vengez, ma chère Jeanne… Vous avez raison… J’ai eu tort, je vous en demande pardon… Oubliez cette minute de folie… Jeanne, ma chère petite Jeanne, dites-moi que vous l’oubliez.

— Mais certainement, mon ami…

— Dites-le-moi mieux que cela.

— Et comment voulez-vous donc que je vous le dise ?

Pas un pli de son visage n’avait bougé… Je compris que mes prières se briseraient contre le mur de son cœur… Je détournai la tête, et restai silencieux.

Alors ma femme reprit sa place devant le petit bureau, au fond de la chambre, entre les deux fenêtres. La nuit tombait, triste comme la mort. Jeanne alluma sa lampe. Et, durant toute la soirée, j’entendis le froissement des notes, le bruit de l’argent compté, le glisse-