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— La beauté de votre vie !… Je vous ai pris la beauté de votre vie !… Pauvre cher chéri !… Ah ! je suis une bien grande sacrilège !… La beauté de votre vie ! Aussi, pourquoi ne m’avoir pas expliqué qu’il y avait tant de beauté, et si rare, dans votre vie !… Me laisser dans une telle ignorance de cette beauté merveilleuse et sacrée, quelle négligence, mon cher Paul !… Mais maintenant que je la connais, cette beauté de votre vie, ne craignez plus que je vous la prenne à nouveau.

— Oh ! Jeanne, ne raillez pas… ce n’est point généreux… Cela me fait trop de mal !…

— Mais je ne raille pas, mon ami… Je m’accuse, au contraire… Et, sans doute aussi, que j’ai pris la beauté de la vie de votre ami, M. Pierre Lucet !… N’avoir pas respecté l’esthétique — c’est bien l’esthétique, n’est-ce pas ? — de ses chaussettes qui traînaient sur les meubles, de ses pantalons troués, de ses souliers boueux, n’avoir rien compris à toute la beauté de sa crasse, combien je me le reproche !… Ah ! je fus une grande coupable, vraiment !

J’avais le cœur serré de dépit, de colère, de douleur, je ne sais plus… Il me semble bien, pourtant, que j’eusse marché avec plaisir sur ma femme ; oui, je crois que j’aurais eu une sorte de volupté barbare à lui sauter à la