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pas, mais le froissement des papiers dont s’accompagnait cette présence, les notes accumulées, le retournement des pages des livres de comptes, et le craquement de la plume, m’étaient un intolérable agacement :

— Jeanne, gémissais-je… ma chère Jeanne… je vous en prie… venez près de moi.

Et sans se retourner à ma voix plaintive, sa plume entre les dents, elle répondait :

— Avez-vous besoin de quelque chose ?… Voulez-vous boire ?

— Non, je n’ai pas besoin de boire… je n’ai besoin de rien… je n’ai besoin que de vous !

— Tout à l’heure, mon ami… j’ai fini… Et ne parlez pas… tâchez de dormir.

— Je ne puis pas dormir tant que vous n’êtes pas près de moi… Si vous saviez comme le bruit de vos papiers, de vos tiroirs, de votre argent, m’énerve !

— Il faut pourtant bien que je termine ces comptes… je suis en retard de plus de huit jours, mon ami…

— Jeanne, Jeanne, qu’est-ce que cela fait que vous soyez en retard, pour ces comptes ?…

Et je sentais des petits sanglots trembler dans ma gorge.

— Je suis venue ici, mon ami, pour ne pas vous laisser seul… Mais si ma présence vous irrite, j’irai dans ma chambre, désor-