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avait plus encore d’étonnement que de blâme, elle ajouta :

— Voilà ce que je craignais… Vous n’avez pas d’ordre, mon ami… Vous ne savez pas ce que c’est que l’argent, mon cher trésor… Eh bien ! dorénavant, c’est moi qui aurai les clés de la caisse… Ah ! nous serions vite ruinés, avec vous… Dix francs de pourboire !…

Se levant, après avoir remis méthodiquement carnets, encrier et plume à leur place respective dans le nécessaire, elle me tapota les joues, et moitié tendre, moitié grognonne, elle dit :

— Oh ! vilain petit mari qui ne sait pas ce que c’est que l’argent !

Cette nuit-là — la seconde de notre mariage, — nous nous endormîmes comme un vieux ménage.

II

Je ne vous ferai pas le récit de ces quelques semaines passées dans le Midi pour célébrer notre mariage. Les mille détails de mon asservissement conjugal, tous ces menus faits quotidiens, par quoi s’acheva l’abandon de mon autorité — non seulement de mon autorité, mais de ma personnalité morale, — entre les mains d’un autre, encombreraient ces notes de