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comme délictueux ou attentatoire à l’honneur d’un homme. Sa conduite fut toujours parfaite, et je crois bien — c’est là qu’est le côté défectueux de l’affaire, — que jamais une mauvaise pensée, jamais un désir impur n’entra dans son âme. Elle se montrait, même avec moi, très réservée — très indifférente, devrais-je dire, — sur cette sorte de choses. J’ajoute que, souvent, j’eus à souffrir de sa naturelle froideur, car elle est très jolie, et j’étais plein de passion.

Ce que je reproche à ma femme, c’est de comprendre la vie d’une façon autre que moi, d’aimer ce que je n’aime pas, de ne pas aimer ce que j’aime ; au point que notre union, loin d’être un resserrement de sensations pareilles et de communes aspirations, ne fut qu’une cause de luttes perpétuelles. Je dis « luttes », et j’ai tort. Ce mot définit très mal notre situation réciproque. Pour lutter, il faut être deux, au moins. Et nous n’étions qu’un seul, car j’abdiquai, tout de suite, entre les mains de ma femme, ma part de légitime et nécessaire autorité. Ce fut une faiblesse, je le sais. Mais que voulez-vous ? J’aimais ma femme, et je préférai l’effacement momentané de ma personnalité maritale à la possibilité de conflits immédiats que tout, dans le caractère de ma femme, me faisait prévoir dangereux et vio-