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regardait la place vide de six mille livres de rentes.

Nous n’avons jamais revu ma cousine.

Et voilà comment je connus ce que c’était que l’amour !

V

Je veux maintenant conter le seul amour qui ait, un instant, illuminé ma vie, comme disent les poètes. Et l’on verra de quelle lumière.

J’avais grandi. Un duvet roux dessinait, sur mes lèvres, l’arc d’une moustache naissante à peine, et, quoique je fusse à l’époque difficile, peu harmonieuse, de la croissance, avec de trop grands bras et de trop grandes jambes qui rendaient ma démarche dégingandée et un peu comique, avec un buste trop court et de trop gros os, sous la peau, — imperfections plastiques qu’accentuaient singulièrement les prodigieux costumes, retaillés dans les défroques paternelles, dont ma mère m’affublait, — je n’étais pas laid. Au contraire. Mes yeux avaient une grande douceur, un éclat triste et profond, fort touchant, par quoi se tempérait de grâce rêveuse le ridicule que me valaient les ajustements économiques haussés, par une fantaisie de coupe presque géniale, jusqu’au rire grin-