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Bientôt, son affection comme ses méchancetés prirent une forme exaspérée qui m’épouvanta. Quelquefois, après le déjeuner, elle m’entraînait en courant, ainsi qu’une petite fille, vers le fond du jardin. Il y avait là une salle de verdure, et dans cette salle, un banc. Nous nous asseyions sur le banc sans rien nous dire. Ma cousine ramassait sur le sol une brindille morte et la mâchait avec rage. Sa couperose s’avivait de tons plus rouges ; sa peau écailleuse se bandait sur l’arc tendu de ses joues et, dans ses yeux congestionnés, et virant comme des barques sur des remous, d’étranges lueurs brillaient.

— Pourquoi ne me dis-tu rien ?… demandait-elle, après quelques minutes de silence gênant.

— Mais, ma cousine…

— Est-ce que je te fais peur ?…

— Mais non, ma cousine…

— Oh ! regarde !… comme tu es mal cravaté !… Quel petit désordre tu fais !

Et, m’attirant près d’elle, elle arrangeait le nœud de ma cravate avec des gestes vifs et heurtés… Je sentais les os de ses doigts se frotter à ma gorge ; son souffle fade, d’une chaleur aigre, offusquait mes narines. J’aurais bien voulu m’en aller, – non que je soupçonnasse un danger quelconque, mais toutes ces pratiques m’étaient intolérables.