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Un jour, à la suite d’une discussion futile et qui, tout de suite, dégénéra en querelle, elle partit. Elle partit sans nous dire où elle allait. Elle partit avec ses malles et ses meubles, et si colère qu’elle ne voulut même pas nous embrasser. Et, pendant quatre ans, nous n’entendîmes plus parler d’elle. On finit, à force de recherches, par savoir qu’elle vivait seule dans une petite bourgade de Normandie, près de la mer. Au dire des gens qui nous renseignèrent, il y avait bien du mystère dans sa maison. Il y venait, presque tous les dimanches, un adjudant de cuirassiers, en garnison dans la ville voisine.

— Ça ne m’étonne pas, disait ma mère… Ça la tracassait !… C’était visible que ça la tracassait…

Elle ne pouvait se faire à l’idée de perdre un héritage qu’elle avait toujours considéré comme assuré. Cet adjudant hantait sans cesse son esprit et la poursuivait jusque dans ses rêves. Très souvent, dans un silence, tout à coup, elle disait, sans s’adresser particulièrement à l’un de nous :

— Pourvu qu’elle ne fasse pas la bêtise de l’épouser !

Elle écrivit plusieurs lettres affectueuses à ma cousine, qui ne daigna pas répondre.

Quelque temps après, nous apprîmes qu’à