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soulagèrent un moment. Mais l’onanisme n’est pas l’amour. Loin d’éteindre les ardeurs génésiques, il les surexcite et les fait dévier vers l’inassouvi.

Quelques mois après le mariage de mes sœurs, j’eus une fièvre typhoïde, qui se compliqua de méningite, et, par miracle, j’en guéris.

La maladie liquéfia, en quelque sorte, mon cerveau. Dès que je bougeais la tête, il me semblait qu’un liquide se balançait, entre les parois de mon crâne, comme dans une bouteille remuée. Toutes mes facultés subirent un temps d’arrêt. Je vécus dans le vide, suspendu et bercé dans l’infini, sans aucun point de contact avec la terre. Je demeurai longtemps en un état d’engourdissement physique et de sommeil intellectuel, qui était doux et profond comme la mort. Sur l’avis du médecin, mes parents, inquiets et honteux de moi, me laissèrent tranquille, et décidèrent que je ne retournerais pas chez le notaire.

Ce fut pour moi une époque d’absolu bonheur, et dont je n’ai véritablement conscience qu’aujourd’hui. Durant plus d’une année, je savourai – incomparables délices de maintenant – la joie immense, l’immense paix de ne penser à rien. Étendu sur une chaise-longue, les yeux