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la si malheureuse invention du puits artésien. Je voyais nettement, dans les huit regards de ma famille, la crainte que je ne découvrisse quelque chose de plus extraordinaire encore ; et, pour m’en ôter l’idée, il ne se passait pas de jour qu’on ne me rappelât, aigrement, avec de lourdes ironies, et de persistantes humiliations, le souvenir de cette ridicule aventure. Moi, qui n’avais plus le droit, sous peine de dures réprimandes ou d’intolérables moqueries, de faire un geste, ni de toucher à un objet ; moi, qu’on rendait responsable de ce qu’il advenait de fâcheux, de la pluie, de la grêle, de la sécheresse, de la pourriture des fruits, j’étais prêt à accepter, comme une délivrance, tout ce que la fantaisie saugrenue de mes parents pourrait leur suggérer, en vue de mon avenir, comme ils disaient. De mon avenir !

Il fut donc résolu que je travaillerais chez le notaire comme « sous-saute-ruisseau », étrange et nouvelle fonction que le tabellion n’hésita pas à créer, en considération de l’amitié qui le liait à notre famille.

— On verra plus tard ! conclut mon père… L’important, aujourd’hui, est de lui mettre le pied à l’étrier…

Mes sœurs se marièrent à quelques mois de distance, et peu après mon ordination dans le notariat. Elles épousèrent des êtres vagues,