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me confiant à lui, que j’étais excessivement borné, et qu’il ne tirerait rien de moi. Celui-ci s’en tint respectueusement à cette opinion, et n’essaya même pas, une seule fois, de se rendre compte de ce qu’il pouvait bien y avoir derrière cette stupidité que m’octroyait, avec tant d’assurance, l’autorité paternelle. Et, naturellement, cette opinion bien constatée et indiscrètement répandue, je devins le souffre-douleur de mes camarades, comme j’avais été celui de ma famille.

Il fut pourtant question, un moment, de m’envoyer au collège ; mais réflexion faite, et toutes raisons pesées, on décida que mon éducation était suffisante ainsi.

— Il est bien trop bête, pour aller au collège !… disait ma mère… Nous n’en aurions que des ennuis.

— Des mortifications !… appuyait mon père, qui aimait les grands mots.

— Oui ! Oui ! Qu’est-ce qu’il ferait au collège ?… Rien, parbleu !… Ce serait de l’argent perdu !

Mes sœurs consultées, car elles montraient, en toutes choses, un précoce bon sens, glapirent :

— Au collège !… Lui ?… Ah ! l’imbécile !…

D’un autre côté, on ne voulait pas me garder, toute la journée, à la maison où j’étais une cause de perpétuel agacement, surtout depuis