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tiques », et souffrait beaucoup de demeurer dans une petite maison, semblable à toutes les petites maisons du pays.

De fait, l’achat de cet immeuble, qui avait appartenu jadis à l’intendant d’une famille noble, classait les Pasquain, les élevait d’un rang, au-dessus des menus bourgeois non hiérarchisés. Les demoiselles Pasquain prirent tout de suite des airs plus hautains, des manières plus compliquées, et tout de suite, elles « jouèrent à la grande dame », ce que les voisins trouvèrent, d’ailleurs, naturel et obligatoire. Il fallait bien faire honneur à une aussi belle propriété. Elles espéraient aussi — espoir formellement partagé par toute la famille — dénicher, avec le prestige de ce presque château, de prochains et sortables maris.

Mais tout cela ne s’était pas accompli sans de longues réflexions, sans de longues, émouvantes, angoissantes hésitations. Durant des mois et des mois, on avait pesé, à toutes les balances de la sagesse, le pour et le contre ; on avait élevé de formidables objections, établi des comptes enchevêtrés, mesuré la hauteur des plafonds, la largeur des fenêtres, la profondeur des placards, — car il y avait des placards, dans toutes les pièces, ce qui est très commode, — sondé la solidité des murailles, espionné le tirage des cheminées. Chose curieuse,