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vous !… Cette foule n’aurait rien compris !… Ce qui me touche dans le cas de Monsieur Quart, c’est que jamais il ne goûta la moindre joie, jamais il ne prit le moindre plaisir… Même au temps de sa richesse, il ne connut — ce que les plus pauvres des mendiants connaissent parfois — une heure de bon temps. Il se priva de tout et vécut, à côté de son argent, plus misérable et plus dénué que le vagabond des grandes routes… Dans ses promenades quotidiennes, il ne dépassait pas le quarante-cinquième arbre de l’avenue de Bernichette. De même, dans toutes les directions de la connaissance et de la fantaisie humaines, il n’a point dépassé le quarante-cinquième arbre. Il ne voulut accepter ni un honneur, ni une responsabilité, quelle qu’elle fût, dans la crainte d’avoir à payer cela par des obligations et des charges qui l’eussent distrait de son œuvre. Il économisa !… Il épargna !… Voilà son œuvre !… Rien ne l’arrêta, ni les vols domestiques, ni les conversions de la Rente, ni les catastrophes financières !… Et comme il avait, en toutes choses, des idées justes et saines !… Un jour, il me vit donner un sou à un pauvre qui semblait mourir de faim. « Pourquoi donner de l’argent aux pauvres ? me dit-il… Vous encouragez leurs vices, vous facilitez leurs instincts de gaspillage et de débauche… Croyez-vous